mardi 19 avril 2016

La cité engloutie de Mahabalipuram

Comme je n'arrive pas à alimenter régulièrement les différentes rubriques de ce blog, j'ai décidé de réagir efficacement et d'en rajouter une. J'inaugure donc ici une série de billets consacrés à l'archéologie, pour laquelle je nourris une passion romantique, en aucune manière influencée par un certain aventurier ophiophobe et mal rasé. Je n'ai pas encore trouvé de nom accrocheur, mais sachez qu'il y aura des cités légendaires, des temples maudits, des artefacts sacrés, des trésors oubliés, des sacrifices rituels et bien sûr, des blagues pourries sur Indiana Jones. J'entame cette série avec l'histoire de la cité engloutie de Mahabalipuram, la légendaire "Sept Pagodes".
Le Temple du rivage deMahabalipuram. Crédits : Wikipédia
"Mahabalipuram", un nom qui sent bon l'aventure exotique et la difficulté de prononciation, que Jeanne Picquigny n'aurait sûrement pas dédaignée. Minuscule ville située sur la côte sud-est de l'Inde, elle est truffée de statues et de monuments qui témoignent de son glorieux passé. La vie y semble douce, le sable chaud et l'aventure au coin de la rue. Une petite vidéo pour vous mettre dans l'ambiance :


J'aimerais poursuivre sur cette lancée, mais malheureusement, cette histoire débute de façon plutôt dramatique.

Le 26 janvier 2004

Ce jour-là, vers 8 h du matin heure locale, une rupture se produit le long de la zone de subduction entre la plaque indienne et la micro-plaque d'Andaman, au large de l'île de Sumatra. Ce mouvement aussi brusque que colossal libère une énergie équivalente à des centaines de millions de fois celle de la bombe d'Hiroshima. Pour prendre un exemple moins sordide, c'est aussi l'équivalent de la consommation électrique des Etats-Unis sur 370 ans (avec comme base la consommation annuelle de l'année 2005). 

Un quart d'heure après la première secousse, le Centre d'alerte des tsunamis dans le Pacifique publie un bulletin aussi rassurant que celui de Tchernobyl : "Il n'y a aucun risque pour la région du pacifique". Personne à cet instant ne mesure la gravité de la situation. Moins d'une demi-heure plus tard, une vague de 30 mètres s'abat sur les côtes de la province d'Aceh, en Indonésie. Le tsunami frappe ensuite les Îles Nicobar, les îles de la mer d'Andaman et celles du golfe du Bengale, ainsi que les côtes du sud de la Malaisie et du sud de Sumatra. Deux heures après le tremblement de terre, les côtes de la Thaïlande, de la Birmanie et du Sri Lanka sont à leur tour frappées, avec les conséquences tragiques que l'on sait. Sur l'animation ci-dessous, on peut voir la propagation des vagues :


La magnitude du séisme sera plus tard évaluée à 9,1 et le tsunami de 2004 reste à ce jour le plus grave de l'histoire sur le plan des pertes humaines, avec au moins 250 000 victimes.

Pendant ce temps, à Mahabalipuram 


À Mahabalipuram, ce matin-là, la mer se retire sur presque 500 mètres avant de revenir saccager le littoral. Par rapport à d'autres villes, Mahabalipuram subit relativement peu de dégâts, et on dénombrera moins d'une dizaine de victimes. Et puis le tsunami a une autre conséquence, plus heureuse : l'espace de quelques minutes, le ressac précédant le tsunami met au jour les vestiges d'une cité engloutie.

Les pêcheurs, les quelques habitants et les touristes qui avaient les yeux rivés sur la mer sont formels : ils ont tous distinctement aperçu des formations rectangulaires alignées, des murs, et ce qui semble être un temple en ruines, incrustés de coquillages et couverts de corail, le tout s'étendant sur une zone d'environ 1,5 km : une véritable cité engloutie.

Ces structures fantomatiques ne restent pas longtemps émergées et l'océan reprend bientôt possession du territoire. Plus tard, lorsque les eaux se retirent, elles emportent les sédiments et le sable qui s'y étaient accumulés durant une dizaine de siècles.

Plus proche du rivage, les vagues ont également escamoté une partie de la plage, dévoilant trois roches sculptées, auparavant ensevelies sous deux mètres de sable, représentant une tête d'éléphant, un cheval ailé et un lion. Il n'en faut pas plus pour raviver l'ancienne légende des "Sept Pagodes" !
Les nouveautés 2004 de la plage deMahabalipuram

La légende des sept pagodes

L'origine de la légende remonte à l'antiquité : au 7e siècle, Mahabalipuram était une ville portuaire florissante, jouissant d'une influence importante, en communication avec l'Indonésie et la Chine. A cette époque, la légende veut que six autres temples se dressaient aux côtés du Temple du rivage, et Mahabalipuram était surnommée "Sept Pagodes". Les premiers européens à rallier ces contrées tropicales pouvaient apercevoir - dit-on - les sept temples depuis la mer. Cette radieuse cité resplendissait tant, qu'elle suscita, c'est classique, la colère et la jalousie des dieux. Mahabalipuram fut donc détruite par une tempête cataclysmique (tout aussi original) et fut ensevelie sous les eaux en une journée seulement. Un seul temple fut épargné, celui qui deviendrait plus tard le solitaire Temple du rivage. 

Les témoignages écrits manquent pour donner du crédit à cette histoire, même si la légende est colportée un peu partout dans le monde depuis au moins un millier d'années. Quant aux habitants et pêcheurs locaux, ils ont toujours cru dur comme fer à l'existence des Sept Pagodes.

En 1772, l'architecte britannique William Chambers rapporta les paroles d'habitants, qui disaient voir les dômes cuivrés des pagodes englouties scintiller au soleil. En 1798, l'anglais John Goldingham coucha sur le papier les histoires racontées par les marins, mentionnant entre autres, celle des Sept Pagodes. D'autres écrits de la même époque mentionnent la légende sans entrer dans le détail, et certains moquent même ouvertement l'idée absurde que les Sept Pagodes aient pu un jour vraiment exister. Mais comme souvent, les légendes comportent une part de vérité.

Du mythe à la réalité, et plus si affinités

Mahabalipuram n'est pas inconnue des archéologues et des historiens : une partie de ses monuments est même inscrite au Patrimoine Mondial de l'Unesco. Elle est réputée pour ses vestiges de premier plan, notamment son bien nommé Temple du rivage, érigé au 8e siècle, sous le règne de Narasimhavarlan II. La plupart des monuments ont été longtemps oubliés, avant d'être mis au jour par les britanniques au 18e siècle (comme quoi, ils ont fait un ou deux trucs sympas).
Le Temple du rivage de Mahabalipuram en 2016. Crédits : J.François
Le site comporte de nombreux monuments dédiés aux divinités hindoues, parmi lesquelles La Descente du Gange, un gigantesque bas-relief du 7e siècle, mesurant 27 m de long pour 9 m de haut :





Enfin, la ville est également connue pour sa "Boule de beurre de Krishna", un rocher de 250 tonnes posé en équilibre sur une pente, sous lequel les touristes s'amusent à se prendre en photo :

La boule de beurre de Krishna (Krishna's Butterball) de Mahabalipuram. Crédits : M.Hallisey
Quant à la présence de vestiges engloutis, elle était déjà connue, des pêcheurs locaux d'une part, depuis plusieurs générations, et des scientifiques d'autre part : en 2002, une équipe d'exploration sous-marine avait décrit en détails les formations, rapportant que les cinq zones examinées comportaient toutes des ruines couvrant des surfaces d'environ 20 m sur 100, vieilles d'au moins 1200 ans. Les auteurs suspectaient également que les ruines couvraient une zone bien plus large que celle étudiée.
Les photographies HD des fouilles sous-marines de 2002. Crédits ; Sundaresh, A. S. Gaur, Sila Tripati et K. H. Vora
Le tsunami n'a donc pas vraiment révélé à la face du monde une cité inconnue, mais il a certainement dévoilé son ampleur et son importance. La vision éphémère du 26 décembre a frappé les esprits : le site englouti est devenu une réalité palpable, et Mahabalipuram est propulsée sur le devant de la scène archéologique. De nouvelles fouilles sont entreprises, et les touristes affluent.

Les ruines d'un nouveau temple. Crédits
Sur la plage, les premières équipes hésitent : les vestiges dégagés du sable sont en mauvais état. Ce sont probablement des restes d'un temple, à moins qu'il ne s'agisse des ruines du port antique. Début 2005, les recherches se poursuivent péniblement, un peu plus au sud. Peu à peu, les chercheurs mettent au jour un premier temple de cinq étages, une fois et demi plus grand que le Temple du rivage. Les inscriptions permettent de dater l'édifice de façon plus précise : il est contemporain du Temple du rivage.

En avril, des sondages effectués en mer, à environ 500 m du rivage, permettent de nouvelles découvertes : un mur long de 70 m, perpendiculaire à la plage, deux nouveaux temples de taille plus modeste et une grotte sculptée. Ces constructions sont datées entre le 4è et le 9è siècle (dynastie Pallava) et elles constituent, avec le Temple du rivage, un complexe dont la géométrie correspond assez fidèlement à un plan des Sept Pagodes, tel qu'il est représenté sur une peinture de l'époque Pallava. Il y a donc bien plusieurs temples à Mahabalipuram, et les fouilles ne font que commencer !

Une autre inscription sur une roche mise à nue par les vagues interpelle les archéologues : elle mentionne une "flamme éternelle" conservée dans un temple, à l'initiative du roi Krishna III. Aussitôt, de nouvelles fouilles sont entreprises aux alentours et un autre temple de l'époque Pallava est dégagé du sable. On y trouve des pièces ainsi que des objets vraisemblablement utilisés dans des cérémonies religieuses. Mais ce n'est pas tout : durant l'excavation, les chercheurs découvrent aussi les fondations d'un temple encore plus ancien, plus de deux fois millénaire, datant de la période Tamil Sangam, qui sert de base au temple plus récent. Le site a donc une histoire bien plus ancienne et complexe que ce qui était généralement admis : si elles ont existé, les Sept Pagodes s'appuient peut-être sur autant de fondations antérieures.
Des strates de coquillages et de débris

Les chercheurs se penchent aussi sur la question de la destruction des temples : ont-ils vraiment été anéantis par les eaux ? Des dépôts de coquillages et de débris, que l'on retrouve tout le long de la côte est de l'Inde, semblent indiquer que le site a été frappé par deux tsunamis importants, l'un survenu entre le 4e et le 6e siècle, l'autre au 13e siècle. Les Sept Pagodes auraient été ainsi construites sur les ruines de temples plus anciens, avant d'être terrassées à leur tour par un raz-de-marée. Des changements survenus dans la géographie du littoral et l'élévation du niveau de la mer auraient achevé de submerger les ruines. Dans le sable, l'histoire se répète inlassablement. Pourquoi le Temple du Rivage est-il le seul à avoir résisté ? Les archéologues avancent cette raison toute simple : c'est le seul à avoir été érigé sur une base rocheuse. L'insensé a bâti son temple sur le sable..

La première campagne de fouilles s'est terminée en 2005. Et ensuite ? Et bien je n'en sais rien. A mon grand regret, je n'ai pas trouvé beaucoup de documentation concernant la suite des opérations, aussi je termine ce petit billet de façon abrupte et prématurée. Je suis déjà sur la suite :)


Happy End

Que ces temples soient les Sept Pagodes ou non, les archéologues et les habitants sont comblés. Le site promet de riches découvertes pour les années à venir, et grâce au tourisme, Mahabalipuram prospère tranquillement. Le prochain tsunami important n'aura probablement pas lieu avant plusieurs siècles, ce qui laisse le temps de faire quelques arrangements avec les dieux :)

J'ai manqué de sources pour ce petit billet, si jamais vous avez des précisions ou corrections à apporter, elles sont les bienvenues :)

La plage des pêcheurs, à Mahabalipuram. Crédits : wikipédia
Pour en savoir plus :
Sur les séismes et les tsunamis
Sur un méga-tsunami il y a 70 000 ans
Sur ce qui s'est passé à Mahabalipuram durant le tsunami
Sur les fouilles de 2002
Sur les découvertes de 2005
Sur le mythe des Sept Pagodes
Sur les découvertes post-tsunami

3 commentaires:

  1. Trop de billets tuent le billet.
    Merci pour le style, toujours aussi séduisant.
    Pascale

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  2. Merci Pascale, c'est gentil :) Je n'en suis pas très content à vrai dire, c'est un peu laborieux je trouve. Mais le prochain devrait être meilleur :)

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  3. N'hesitez pas a aller visiter ce site en Inde, et l'Inde en général, c'est assez chouette même si l'Inde est un pays différent et c'est pas étonnant quand on connait son histoire et sa démographie....

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