mercredi 28 janvier 2015

Discussion sur l'écoulement du temps #2 Ma théorie d'ado sur la décohérence et l'émergence du temps

Dans l'épisode précédent, j'abordais quelques notions "classiques" et inévitables quand on commence à s'intéresser au temps : l'entropie et la causalité, entre autres. Dans ce second épisode, mon intention était de poursuivre sur ma lancée, en m'intéressant à l'écoulement du temps au niveau d'une particule. Je n'ai eu ni le temps ni le courage de me plonger dans les équations, alors je vous propose une lecture plus abordable : ma tentative de théorie sur l'émergence du temps, élaborée au lycée. Toute naïve qu'elle soit, elle a le double mérite, sur un plan personnel du moins, de poser clairement la nature des interrogations qui me turlupinaient à dix-sept ans et de me permettre de poursuivre ma réflexion dix-sept ans plus tard. Au programme : flèche du temps, "spin temporel" et décohérence. Quant au lecteur, il la lira, si ce n'est avec intérêt, avec le regard affectueux et nostalgique qu'on adresse aux enfants imaginatifs :)

Le temps est-il rattaché à la matière ? 

Je balaye cette question : évidemment, sinon pourquoi me creuserais-je le ciboulot ? Je considère que le temps émerge de la matière. Quand bien même le temps existerait de façon indépendante, je suis convaincu que la flèche du temps est rattachée à la matière. Rentrons dans le vif du sujet, tout en mangeant des speculos.

La particule insouciante et les interactions 

Voici comment je considérais les choses : le temps au niveau d'une particule seule et soumise à absolument aucune interaction ne pouvait pas avoir de caractéristiques définies. La particule vivait sa vie, en écoutant Singles Ladies de Beyoncé.

Je me souviens qu'après avoir lu un petit article sur le spin, j'avais imaginé qu'une particule pouvait être pourvue d'une sorte de "spin temporel" qui indiquerait une flèche du temps propre à la particule. Ce "spin temporel" serait une propriété analogue aux autres propriétés quantiques, assimilable à une sorte de girouette temporelle. Ce ne serait pas nécessairement une propriété quantique à proprement parler, il pourrait s'agir d'une pseudo-propriété émergeant de propriétés sous-jacentes, à laquelle on aurait recours par commodité. Cette girouette temporelle pointerait dans une direction fixe, ou variable, je n'avais pas encore d'avis sur la question, et d'ailleurs cela importait peu, puisqu'à l'instar des autres propriétés quantiques, son état ne serait pas accessible en dehors d'une mesure. Je me demandai ainsi s'il ne pouvait pas exister une infinité de flèches du temps, c'est à dire, pour reprendre l'analogie avec le spin, que celui-ci ne serait pas contrait de prendre une valeur parmi deux seulement, mais aurait une infinité de valeurs possibles. Quelle interprétation en ferions-nous dans les mondes quantique et "classique" ? Tout cela me paraissait bien compliqué.

Ce qui me paraissait évident en revanche, c'est que ce spin temporel serait modifié en cas d'interaction, et donc, en cas de mesure. Par exemple, si cette particule rencontrait une autre particule, il y aurait interaction entre les spins temporels : soit qu'ils s'accordassent en prenant une direction moyenne, soit qu'ils prissent des directions symétriquement opposées. Cet état pouvait éventuellement perdurer un certain temps après l’interaction ; il était même intéressant à tout point de vue que les particules conservassent une trace de leur éphémère interaction. Savoir combien de temps une particule soumise à une seule interaction gardait la trace de cette interaction me semblait alors être la question fondamentale. A partir de quand la particule commençait-elle à "oublier" que le temps avait existé ? Aussitôt après l'interaction ? Ou sa flèche du temps propre repartait-elle graduellement en mode chaotique ? Y avait-il un rapport avec le temps de Planck ? Comment finirait la dernière saison de Hartley cœurs à vifs ?

Deux particules avant et après interaction. La flèche du temps commune après interaction est ici une "moyenne" des deux flèches du temps initiales.
L’interaction introduisait aussi une notion d'avant et d'après et logiquement, au moins pendant l’interaction, le temps avait existé.

Que se passait-il alors quand plusieurs particules interagissaient ensemble ? Finissaient-elles, comme les métronomes dans la vidéo ci-dessous, par se synchroniser, de sorte que pour chacune d'entre elles, le temps s’écoulât dans la même direction ? C'était mon avis :)


Cette idée me plaisait car elle expliquait pourquoi, dans tous les systèmes macroscopiques, il semblait exister une flèche du temps unique : celle que nous partageons tous. Les particules sous interaction continuelle avaient tout simplement aligné leurs "spins temporel". Cette "théorie" expliquait aussi pourquoi une particule étrangère à un système macroscopique finissait forcément par adopter la même flèche du temps que ce système : à force d’interactions, la somme des contributions finirait forcément par orienter le "spin temporel" des particules dans la direction de celui du système macroscopique, qui comptait des millions de milliards de particules. Cette idée était pour moi compatible avec l'effet des mesures dans le monde quantique : on sait en effet qu'une mesure est une interaction qui affecte le système. Dès lors, le système imposerait sa flèche du temps à la particule, d'une façon d'autant plus forte qu'elle impliquerait une différence élevée dans le nombre de particules.

Cela expliquait aussi selon moi pourquoi des portions d'Univers, comme le système solaire ou notre galaxie, semblaient partager la même flèche du temps : les particules du système solaire ayant toutes interagi à un moment donné, lors des premiers instants de sa formation, elles avaient aligné l'orientation de leur "spin temporel" et, pourvu qu'elles soient restées dans des systèmes de particules suffisamment grands pour garantir des interactions régulières, avaient conservé cette orientation. On ne s’attendrait donc pas à trouver dans le système solaire, un objet macroscopique dont la flèche du temps ne serait pas la notre.

Pour résumer, à notre échelle, le nombre faramineux d'interactions à chaque seconde créait la structure même du temps. La statistique lissant le tout, le temps nous apparaitrait comme une trame de fond, avec, pour une même région de l'espace, un écoulement régulier et continu, toujours dans la même direction. Par ailleurs, une particule extérieure à un système macroscopique, où le temps aurait émergé dans les conditions décrites précédemment, adopterait quasiment instantanément le "spin temporel" et la flèche du temps de ce système, comme une feuille tombée dans un fleuve est aussitôt emportée par le courant. A partir d'un certain seuil, quand les interactions devenaient "continues", alors le temps émergeait. Il restait évidemment à préciser quand on pouvait considérer que les interactions étaient continues.

J'imaginais même pouvoir expliquer la répartition de la matière et l’antimatière dans l'univers. Je reviendrai sur ce point. Mais parlons d'abord de décohérence quantique.

La décohérence quantique et l'apparition du temps

La décohérence quantique, c'est cet instant magique où un système adopte brusquement un comportement classique : tout d'un coup, le système est parfaitement déterminé, il n'y a plus de place pour le hasard. C'est comme si les particules passaient d'un carrefour indonésien à la place d'une ville en Suisse. Je ne vais pas détailler ici, on trouvera plein de chouettes articles en ligne à ce sujet. Toujours est-il que je trouvais ce phénomène frontalier extraordinaire et je me demandai si cette transition n'avait pas un rapport avec l'écoulement du temps. Peut-être était-ce l'instant précis où les particules synchronisaient leurs "spins temporels" ? Ou pour utiliser des termes plus conventionnels : la décohérence correspondait peut-être à l'instant où un système adoptait la flèche du temps du système avec lequel il interagissait. Pour un système de particules en interaction avec un système macroscopique, cela pouvait en effet correspondre à la fameuse réduction du paquet d'ondes. Ainsi la décohérence serait le moment où le temps commence à exister pour un système. Ou bien celui où il commence à être soumis au temps, ce qui est une façon plus nuancée de voir les choses. En termes statistiques, c'était conciliable avec les observations : plus il y a de particules dans un système, plus la décohérence survient rapidement.

L'intrication et l'apparition du temps

La même année, je m'intéressai un peu plus à l'intrication quantique : ce phénomène qui fait que deux systèmes quantiques partagent le même état, indépendamment de la distance qui les sépare, et qui a donné lieu à des expériences extraordinaires de "communication instantanée" entre deux particules, comme si le temps n'existait pas. Comme précédemment, seule une mesure de propriété ramène les particules à un état "normal" en les "désintricant" : un phénomène analogue à celui de la décohérence. C'est comme si on prenait les particules en flagrant délit de violation de la loi sur l'existence du temps et qu'elles se mettaient rapidement d'accord, comme deux membres de la Douma, pour servir la même version aux observateurs. Ce pourrait-il que l'information remonte le temps pour rendre cela possible ?

En octobre 2013, un papier désormais célèbre décrivait pour la première fois une expérience qui suggère que le temps est une propriété qui émerge d'un système après intrication. L'expérience montrait aussi que le temps n'existe que pour un observateur lié au système : un hypothétique observateur extérieur à l'univers ne verrait pas le phénomène, et le système serait invariant dans le temps. Certains y ont vu une possible avancée dans la résolution du problème du temps dans l'équation de Wheeler-DeWitt, mais je ne vois pas trop comment extrapoler le résultat de l'expérience à un univers réel (dans l'expérience, celui-ci est simulé avec deux photos intriqués). Pour creuser la question, on peut lire cet article pédagogique sur l'équation de Wheeler-DeWitt que m'avait envoyé l'auteur du blog Le webinet des curiosités.

L'antimatière et la flèche du temps

Les scientifiques se demandent encore aujourd'hui pourquoi l'antimatière semble avoir disparu de l'univers, à la faveur de la matière. Si lors du big-bang, les deux sortes de matières ont été créées de façon équilibrée, ce pourrait-il que des régions se soient rapidement différenciées en zones de matière et d'antimatière ? L'espace et le temps subissaient-ils un phénomène analogue à la ségrégation observée dans les transitions brutales de nombreux systèmes chaotiques ?

L'antimatière peut aussi être considérée comme de la matière qui remonte le temps. Autrement dit, avec mes mots de lycéen, les deux sortes de matière avaient des "spins temporels" opposés. Ainsi, les particules qui rejoignaient telle où telle zone, accordaient-elles leur "spin temporel" en fonction de leur région d'accueil, devenant soit de la matière, soit de l'antimatière ? Ces régions devenaient-elles complètement hermétiques l'une à l'autre ? Certaines théories proposent d'ailleurs que deux univers symétriques progressent dans le temps de façon opposée, de sorte qu'il soit impossible d'établir une communication entre les deux.

Uiiiiiiii ! Deux univers pour le prix d'un !

Le temps, l'espace et la vitesse d'écoulement du temps.

Comme j'étais persuadé que la flèche du temps était indissociable de la matière, je pensais que la vitesse d'écoulement du temps l'était aussi, ce qui parait logique si l'on considère la relativité générale. J'eus alors une nouvelle idée : et si je remplaçais ce "spin temporel" par un "vecteur temps", qui indiquerait non seulement le sens et la direction de la flèche du temps, mais aussi la valeur de la vitesse d'écoulement du temps ? Ainsi, dans le système solaire, le vecteur temps aurait la même direction mais sa norme pourrait varier selon l'importance du champ gravitationnel. Je vais essayer de retrouver les schémas qui trainaient sur mon bureau, ça donnera une note sympathique à ce billet aride.

Voilà, je pense avoir réussi à écrire l'essentiel de ce que j'avais imaginé quand j'étais encore un fougueux jeune homme. Réaliser à quel point je n'ai pas du tout progressé me désole un peu. David, Xochipilli, Dr Goulu et les autres : il va falloir m'aider. J'espère pouvoir poursuivre la discussion un de ces quatre.. Pour l'heure, je pense que la seule solution consiste à caser ici un truc qui n'a absolument rien à voir.

Aucun rapport : le défi Choré Beyoncé



Pour retrouver l'intégralité des billets consacrés au temps, rendez-vous sur la page théma du Café des Sciences.
http://thema.cafe-sciences.org/articles/category/le-temps/
Illustration : Alain Prunier

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