dimanche 19 octobre 2014

Quelques petites choses au sujet du colibri : records, anatomie et évolution

Crédits : Priscilla Burcher
C'était l'été, et nous dévalions tant bien que mal les marches étonnamment mal taillées des ruines de Písac, dans la glorieuse vallée de Cuzco. Le soleil de fin d'après midi dorait les herbes des minces terrasses, vestiges de l'activité agricole du peuple Quechua. 

C'était un de ces instants prisés entre tous, quand tout est silencieux et immobile, chaud et lumineux, que l'on savoure avec la conscience aiguë de son absolue et éphémère perfection. Nous décidâmes de faire une halte bien méritée. C'est alors qu'à quelque pas de nous, une créature insensée fit son apparition ; un colibri qui, en un éclair bleu-vert, butina le nectar de trois fleurs de cactus. Quelques secondes plus tard, l’aberration colorée avait disparu et le soleil se couchait sur la vallée. Tout ça pour dire que j'ai vu un colibri et que ça déchire.
Un colibri au Costa Rica. Crédits : Florian Kuster pour National Geographic.
Et je me suis souvenu que j'avais quelques trucs à raconter sur les colibris. Et de chouettes photos et vidéos à montrer. Voici donc trois petites choses au sujet des colibris, ces oiseaux gourmands parfois pas plus gros qu'un frelon.

The record-bird

Difficile de trouver créature plus rocambolesque que le colibri. Toujours à deux doigts de crever de faim, il carbure au nectar dont il doit ingurgiter l'équivalent de son poids chaque jour (on trouve beaucoup de chiffres à ce sujet, j'ai fait une moyenne). Pour cela, il butine en moyenne 1000 fleurs par jour. C'est comme si vous buviez une canette de Coca toutes les minutes. Fructose ou glucose ? Peu importe, contrairement aux autres animaux, il assimile aussi bien l'un que l'autre, et tout cela en un temps record. Sur wikipédia, on peut lire qu'il digère une mouche en 10 minutes seulement.

Le colibri est optimisé pour son train de vie infernal : son cœur bat plus de dix fois plus vite que le notre en plein effort. Le rythme cardiaque du colibri à gorge bleue a été mesuré à plus de 1 260 battements par minute. Son système respiratoire est le plus performant de tous les vertébrés, et surtout, il a deux fois plus de globules rouges par litre de sang que nous, ce qui lui permet logiquement de fixer deux fois plus d'oxygène. Quand on sait qu'une grande partie de ces bestioles vit dans les Andes, parfois à plus 4000 mètres d'altitude, on contemple son foot du dimanche avec humilité.

Malgré cet arsenal anatomique, le colibri se retrouve très régulièrement en galère. Il peut - et doit - alors se mettre en état de pseudo-léthargie : sa température corporelle baisse sensiblement (passant de 40 à 20° C environ) et son rythme cardiaque chute drastiquement. Il devient alors une proie facile, car il lui faut un petit moment pour se réveiller, comme on peut le voir dans cette vidéo. Maussade au réveil, mieux vaut ne pas lui adresser la parole avant sa première dose de la journée.

Le colibri ne se nourrit pas uniquement de nectar, il a besoin de protéines qu'il trouve en chopant des insectes en plein vol ou en maraudant sur des toiles d'araignées. Grognon et voleur donc, le colibri est aussi très agressif envers les prédateurs ou les concurrents, conséquence, croit-on, du rapport insatisfaisant entre son investissement énergétique démesuré et le bénéfice qu'il tire de sa came. Dans la vidéo ci-dessous, on peut voir ces boules de nerfs se transpercer littéralement avec leurs becs :


Une solution envisageable pour enrayer cette flambée de violence consisterait à légaliser le nectar et à ouvrir des salles de shoot, comme aux États-Unis :

Le vol du Colibri


Le plus bluffant chez le colibri, c'est bien sûr son incroyable adresse au vol. Sa taille ridicule et le vrombissement qu'il produit le font vraiment ressembler à un insecte, et on comprend mieux, une fois qu'on l'a vu, pourquoi il est aussi appelé oiseau-mouche. Son métabolisme explosif et son anatomie unique lui permet de battre des ailes plusieurs dizaines de fois par seconde. En vol piqué, le nombre de battement par seconde peut même atteindre les 200 ! C'est également le seul oiseau à pouvoir voler dans toutes les directions, notamment en arrière, ou même à l'envers ! Il faut le voir en slow-motion :




L'anatomie de l'aile du colibri. Adapté de cette page.
Les ailes du colibri présentent plusieurs caractéristiques uniques chez les oiseaux. La majeure partie de l'os qui supporte l'aile est constituée de ce qui correspond à la "main" chez les autres oiseaux, comme on peut le voir sur le schéma haute-résolution ci-contre. La souplesse de la structure osseuse lui permet des mouvements bien plus amples que chez les autres oiseaux : en vol stationnaire, l’extrémité des ailes décrit une sorte de 8 couché, un peu comme le signe \infty (voir animation ci-dessous).

Côté matériaux, le colibri a opté pour ce qui se fait de mieux : les os des ailes sont poreux, ou parfois même creux. Les muscles sont constitués de fibres qui peuvent subir des centaines de sollicitations par seconde, et les différentes unités se contractent de façon quasi synchrone. La densité de plumes est la plus élevée du monde animal, et les ailes "portent" de chaque côté. Cette extraordinaire machinerie naturelle a inspiré de nombreux travaux scientifiques, et l'on a même construit des copies robotisées très réussies.

Dans cette vidéo, on peut voir le vol au ralenti : le colibri est placé dans une soufflerie et les chercheurs font varier les conditions. On voit comment l'oiseau utilise sa queue pour se stabiliser et comment il s’ébroue comme un chien mouillé pour se débarrasser des gouttes de pluie.



Le colibri et l'évolution

Eutoxeres condamini. Crédits : Christopher C. Witt
Il est probablement grand temps de préciser que le terme "colibri" est un nom vernaculaire, c'est à dire qu'il ne correspond pas à une classification scientifique. Pour ma part, j'utilise le mot au sens le plus large et le plus courant ; j'appelle "colibris" ou "oiseaux-mouches" tous les petits oiseaux qui partagent les caractéristiques anatomiques décrites précédemment et qui se défoncent au nectar. Je sais, c'est très rigoureux, mais ce n'est pas comme si je tenais un blog scientifique. Pour plus d'infos sur la classification, je vous laisse lire "Colibris, Umami et Sucreries" sur SSAFT.

Les colibris donc, comme tous les êtres vivants, ont été sculptés par la sélection naturelle. Leur bec s'est adapté aux fleurs qu'ils butinaient, et dans le même temps, les fleurs se sont adaptées aux colibris qui les pollinisaient. Il en résulte que l'on trouve aujourd'hui une variété de formes et de tailles de becs stupéfiante. Par exemple, le "Bec-en-faucille de La Condamine" ci-contre, qui doit probablement son nom à un explorateur québécois, a un bec recourbé vers le bas, qui lui permet de siroter les fleurs du genre Heliconia et Centropogon. La fleur sur la photographie (Centropogon) possède de petites boules blanches appelées anthères qui déposent du pollen sur la tête de l'animal. Et en butinant d'autres fleurs, le volatile volage les pollinise ! Le colibri porte-épée que l'on peut voir ci-dessous, a un bec complètement différent. C'est d'ailleurs le seul oiseau à avoir un bec plus grand que son corps.
Le Colibri porte-épée (Ensifera ensifera) a un bec plus long que son corps ! Crédits : Stanley Jones 
Le colibri Madère mâle et femelle. Crédits : Alain Fossé
A force de se spécialiser dans le butinage exclusif, certaines espèces se retrouvent avec des becs adaptés à quelques espèces de fleurs seulement, et vice-versa. Autrement dit, les espèces dépendent de façon très sensible les unes des autres, et si l'une vient à disparaitre, les autres sont dans la mouise.

Les scientifiques ont même observé des adaptations différentes au sein d'une même espèce. Chez le colibri madère (Eulampis jugularis), la femelle et le mâle se sont chacun spécialisé dans le butinage d'une variété spécifique d'une fleur d'Heliconia. Réciproquement, les deux variétés d'Heliconia ont optimisé leur forme en fonction du bec du mâle et de la femelle, et ont poussé le vice à arborer des couleurs adaptées aux deux sexes : rouge pour les mecs et vert-jaune pour les filles.

Bon, je m'arrête ici, car le blog SSAFT vient de publier un article de référence sur les colibris qui aborde, entre autres, la phylogénétique des colibris, les raisons de leur incroyable diversité et la façon dont leur langue prélève le nectar. L'article répond aussi à la question fondamentale : pourquoi les colibris aiment-ils tant le sucre ?! En prime, de superbes photos d’œufs et de trafiquants d'animaux dénudés !

Il ne me reste plus qu'à inclure quelques formidables photographies !
Un colibri insigne, photographié par Jess Findlay
Un colibri insigne, photographié par Jess Findlay
Sources :
Une vidéo de cours en ligne ici.
Cet article au sujet de l'anatomie.
Celui-ci, au sujet de l'évolution du Colibri Madère

Deux petits bonus : une sculpture cinétique de colibri, par Derek Hugger :


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