mardi 21 mai 2013

Pourquoi les gouttes sont-elles sphériques ? Molécules, manchots et tension superficielle

L'astronaute Leroy Chiao et une bulle d'eau, NASA
Aujourd'hui, je vais essayer d'expliquer pourquoi les gouttes d'eau sont sphériques en parlant de tension superficielle et de manchots. On parlera aussi de la forme des gouttes de pluie et de leur déformation pendant la chute. Pour commencer, et si vous n'avez jamais vu un liquide en apesanteur, regardez tout d'abord la vidéo ci-dessous : une jolie expérience réalisée à bord de l'ISS. Je pars du principe que vous savez déjà à quoi ressemble un manchot :)

La goutte parfaite, les manchots et la tension superficielle

Sans la force de pesanteur, le liquide s'est spontanément organisé en une sphère, comme le whisky du capitaine Haddock dans On a marché sur la Lune. Pourquoi ?
Des manchots empereurs en réunion calorifique
On explique souvent que cela est du à la tension de surface, qui, comme son nom l'indique, tend la surface du liquide et la contraint à prendre une forme qui réduit l'interface. On oublie souvent d'expliquer d'où vient cette force : c'est probablement parce qu'elle résulte d'interactions assez complexes entre les molécules (visiter ce site pour approfondir la question). Disons que, comme les manchots qui se regroupent en cercles sur la banquise, les molécules d'eau préfèrent rester au chaud ! Enfin, c'est une image, les molécules d'eau préfèrent ne pas se retrouver à la surface du liquide car cette situation est défavorable d'un point de vue énergétique. Tout comme les manchots qui tentent d'exposer le moins possible leur surface corporelle au froid mordant. Les molécules sont bien plus heureuses lorsqu'elles sont entourées par leurs semblables, avec qui elles ont entretiennent des interactions qui les stabilisent. De là à penser que Marine Le Pen a le cerveau d'une molécule, il n y a qu'un pas. Les social outcasts à la surface du liquide, comme les manchots qui se pèlent les miches en bordure du groupe, ont une vie très instable et malheureuse car elles ont perdu la moitié de leurs interactions. C'est comme si, à la suite d'une rupture amoureuse, vous aviez perdu la moitié de vos amis. Les molécules tentent donc par tous les moyens de s'éloigner de la bordure et rejoindre leurs copines molécules à l'intérieur du liquide.

Rapports entre le volume et la surface pour la sphère et le cube.
Cette volonté de rétablir les liens sociaux créé une pression qui va déformer la surface du liquide. Autrement dit, le liquide adopte une configuration où la surface exposée, par exemple à l'air, est minimale. Le liquide fait en sorte qu'il y ait le moins possible de molécules malheureuses. Il se trouve que la sphère est la forme pour laquelle le rapport entre le volume et la surface est maximal (il vaut un tiers du rayon), c'est à dire qu'elle renferme un maximum de volume pour un minimum de surface. N'importe quelle autre forme aurait, pour le même volume, une surface d'exposition plus importante. Pour un cube de côté R par exemple, le rapport entre le volume et la surface exposée est égal à R/6.

En s'organisant en sphère, le liquide s'arrange pour qu'un maximum de molécules soient heureuses.

La forme des gouttes : une question de taille

Illustration extraite de "L'eau en poudre", sur Science étonnante
Sur Terre, les liquides ne sont pas uniquement soumis à la tension de surface, ils subissent aussi l'impitoyable force de la gravité et se déforment sous l'effet de leur propre poids (encore un point commun avec Le Pen). Selon leur taille, la nature du liquide et celle du support (voir illustration ci-contre), les gouttes sont plus ou moins sphériques. Typiquement, en dessous de 1 ou 2 millimètres, une goutte d'eau est sphérique car la force de tension superficielle domine celle de la pesanteur. Au delà, elle prend une forme plus aplatie.

Contrairement à une idée très répandue, dans le cas spécifique d'une chute libre, les gouttes ont rarement une forme de poire. Mais elles ne sont pas toutes sphériques pour autant ! La plupart présentent un aplatissement à la base, du à la résistance de l'air et ressemblent vaguement à des prothèses mammaires. Sous l'effet des frottements, l'eau circule dans la goutte pendant la chute : elle remonte le long des cotés.
Dynamiques de la formation des gouttes de pluies (Wikipédia) et représentation classique d'une goutte de pluie
Une goutte d'eau piégée entre des feuilles hydrophobes
La tension superficielle explique donc la forme des gouttes mais joue aussi un rôle crucial dans de nombreux phénomènes : elle explique pourquoi deux petites gouttes se rassemblent pour n'en former qu'une (c'est ce qu'on appelle la coalescence), pourquoi il est possible de remplir son verre plus qu'à raz bord, comment un liquide peut monter dans un tube etc. Concrètement, on la retrouve dans la formation des gouttes de pluie, le transport de la sève dans les plantes ou celui du sang dans nos vaisseaux sanguins. Elle oblige les industriels à concevoir des peintures qui s'étalent, des pesticides qui restent sur les feuilles au lieu de perler et de tomber au sol, des encres qui ne forment pas de gouttes dans les imprimantes ou encore des bulles qui forment une jolie mousse dans la bière. La tension de surface permet aussi, si ce n'est à Jésus, à certains insectes de marcher sur l'eau (lire Le radeau hydrophobe des fourmis.

Fourmis rouges formant un pont flottant. Crédits: A.Bockoven
Pour voir davantage de vidéos illustrant l'action de la tension superficielle en apesanteur : "Un alka-seltzer dans l'espace" ou encore cette vidéo virale de la rock star de l'espace Chris Hadfield essorant un chiffon estampillé NASA :

Teaser : la dynamique des regroupements de manchots

Si l'analogie faite précédemment entre les molécules d'eau et les manchots ne vous a pas convaincu, je pousse la comparaison un peu plus loin. La horde des manchots est soumise à une dynamique complexe qui ressemble par certains aspects à celle d'une goutte de pluie en chute libre. J'en parlerai en détail dans mon prochain billet, mais en guise d'appetizer, voyez dans l'illustration ci-dessous comment les individus qui se mangent le vent glacial en pleine face se déplacent  pour réintégrer la horde par le côté opposé. Exactement comme les molécules d'eau dans la goutte de pluie, chassées par l'air vers la partie supérieure. Sachez cependant que, vraisemblablement sous la pression du lobby antarctique, la station spatiale internationale n'a pas prévu pour l'instant d'accueillir des manchots afin de vérifier cette audacieuse analogie.
crédits: Hang Hyun Cho, Chun Ting Tsai

A gauche, sous l'effet des frottements avec l'air, la pellicule d'eau à l'interface subit un mouvement circulaire. A droite, les manchots exposés au vent glacial se déplacent vers le côté opposé pour réintégrer le groupe.

2 commentaires:

  1. salut ! chouette article. Je fais un cours "basique" sur les points remarquables de l'eau (Liaisons H etc, j'adore ce truc),et forcément j'en viend à évoquer la de tension superficielle... alors je pense que je vais te piquer ton analogie sur les manchots, car c'est excellent !

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  2. Salut Pascale, merci :) Il faudrait que je fasse un truc plus complet sur la tension superficielle !

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