dimanche 8 juillet 2012

Le Boson de Higgs, le bateau pirate Lego et Michel Houellebecq

Le matin du 4 juillet 2012, après un battage médiatique digne de celui de The Artist, le CERN annonce, lors d'une communication officielle très attendue, avoir identifié un nouveau boson qui pourrait être le boson de Higgs. Pourquoi un tel retentissement ? Et qu'est-ce qu'un boson ? Comment fait-on pour l'observer ? Peut-on vraiment comprendre ces théories si compliquées ? Quel sera le titre du prochain Houellebecq ? Réponse avec des Lego et des images !
Higgs boson: Proton-proton collisions as measured by Cern
Simulation de collision au LHC, F.Coffrini/AFP/Getty Images

Le boson hyper-médiatisé

C'est la star incontestée de la Physique des Particules : le Boson de Higgs. Mystérieux et indispensable au modèle établi par les physiciens pour décrire l'ensemble des particules qui constituent toute la matière de notre univers, il a fait régulièrement parler de lui depuis sa prédiction théorique dans les années 60. Sa traque a déchainé les passions depuis des décennies, a conduit à la construction des machines les plus extraordinairement complexes et a couté des dizaines de milliards de dollars.

Ces dernières années, les indices de son existence s'étaient accumulés mais la maudite particule demeurait insaisissable ! Après des années de poisse marquées par une panne du LHC (Large Hadron Collider) et sa période d'inactivité de 14 mois, cette découverte (avec "un degré de confiance de 99,99997 %") est donc à la fois une très bonne nouvelle et un grand soulagement pour la communauté scientifique. De plus, cette annonce justifie peut être aux yeux de certains les sommes astronomiques engagées dans la construction du LHC.

Qu'est ce qu'un boson?

Satyendranath Bose
La physique des particules moderne dispose de tout un bestiaire de particules -aux noms parfois étranges- pour décrire la matière et ses interactions. Au début, il y avait les protons, les neutrons et les électrons. Mais très rapidement, grâce à l'extension du domaine de l’énergie, les particules élémentaires découvertes deviennent de plus en plus nombreuses. A quoi toutes ces nouvelles particules peuvent elles bien servir ? Les physiciens décident de les classer selon leurs propriétés. C'est comme si vous aviez une boite pleine de Lego pour construire la matière et que vous vouliez les ranger d'une certaine manière. Vous pouvez les regrouper par couleur, par forme ou par fonction par exemple. Pour les particules, il existe deux catégories principales : les fermions et les bosons. Les bosons représentent une catégorie de particules qui ont des propriétés de symétrie particulières lors de l'échange de particules. Les photons par exemple, les particules de lumière, sont des bosons. Je ne détaille pas davantage mais pour ceux qui ont une folle envie d'équations quantiques, je suggère cette page pour commencer. Ces particules doivent leur nom à Satyendranath Bose, l'Einstein Indien.

Le boson de Brout, Englert et Higgs

Le CERN a donc confirmé aux médias l’existence d’une nouvelle particule qui présente des caractéristiques conformes à celles que l’on attend du boson de Higgs. D’autres expériences et mesures doivent être effectuées avant une confirmation définitive mais on est sûr d'avoir trouvé quelque chose de nouveau !

Bizarrement, alors qu'ils l'avaient toujours appelé Boson de Higgs, les médias se sont souvenus que son existence avait été postulée indépendamment par Robert Brout, François Englert et Peter Higgs ainsi que par d'autres théoriciens : Carl Richard Hagen, Gerald Guralnik et Thomas Kibble. En toute rigueur, c'est le physicien belge François Englert qui a le premier décrit cette particule. Le boson de Higgs est donc maintenant appelée de façon consensuelle boson de Brout, Englert et Higgs ou BEH ou encore boson BEHHGK.

A quoi sert le boson de Brout, Englert et Higgs ? 

Il est très difficile d'expliquer son importance de façon simple, du moins sans introduction préalable à la physique des particules. Dans le jargon des physiciens, on dit que l'existence théorique de ce boson est la conséquence du mécanisme de BEH, introduit dans le but de briser la symétrie de l’interaction unifiée électrofaible pour remédier au problème des masses nulles. Nous voilà bien avancés.

Les Lego-particules et le bateau pirate

Pour réfléchir à ces choses compliquées, mettons que les physiciens soient des enfants qui jouent avec des Legos symbolisant les particules. Avec ces Lego-particules, ils doivent être en mesure de reconstruire toute la matière de l'Univers. Ils se trouvent dans une salle sans éclairage où le contenu d'une immense boite de Legos a été déversé. Ils peuvent sortir de cette salle pour observer à la lumière, sans le toucher, un modèle de bateau pirate Lego déjà monté. En observant le modèle, ils font des hypothèses sur les pièces utilisées et sur la façon dont il est possible de les combiner : le bateau a besoin de pièces marrons, de pièces courbes, de pièces longues et cylindriques pour le mat, de voiles etc.

L'univers réduit à un bateau pirate Lego
Les collisionneurs de particules, dont ont parlera dans la suite, sont des instruments d'observation hyper sophistiqués. Ils seront ici représentés par des lampes de poche dont les piles coutent 1 million de dollars et qui ont une autonomie de 30 secondes.

Les physiciens ont très envie de jouer avec un bateau pirate alors ils se proposent d'aller chercher, à l'aide de leurs lampes de poche,  les pièces nécessaires dans la salle sombre. Comme les piles coutent la peau des fesses, ils préfèrent ne pas gâcher leurs ressources et préparent auparavant une liste des pièces nécessaires et un plan de montage. Une fois qu'ils sont tous d'accord, ils se ruinent en piles et vont chercher les pièces dont ils ont besoin. Mais très vite, ils s’aperçoivent que les pièces qu'ils ont rapportées n'ont pas de masse (alors que tout le monde sait qu'un bateau pirate Lego a une masse!). Ah ! L'insoutenable légèreté de l'être !

Pour pallier ce défaut, ils imaginent qu'il existe une nouvelle pièce qu'ils appellent Lego BEH et qui, associée aux autres, leur confère une masse. Comme ils ne la voient pas sur le modèle du bateau pirate, ils font l'hypothèse que cette pièce manquante est sans doute très petite, ou bien très bien cachée. Ces malins de physiciens achètent alors un projecteur très puissant et hors de prix, le LHC, pour être sûrs de la dégoter ! Ils retournent dans la pièce sombre et, grâce à leur projecteur, finissent par trouver la pièce manquante ! Voilà qui est rassurant, ils vont maintenant pouvoir s'atteler à comprendre comment toutes les pièces s'assemblent !

Laissons maintenant les Lego et passons à la réalité (ou, du moins, à l'idée que s'en font les physiciens).

La possibilité d'une masse : le Champ de Higgs.

La masse est une propriété énigmatique. Comment la matière l'acquiert-elle ? A notre échelle par exemple, on ne peut que ressentir ses effets, on ne peut pas appréhender sa nature (un peu comme le temps). Le boson de BEH est un élément de réponse à cette question presque philosophique que très peu de personnes se posent : d'où vient la masse des particules et pourquoi certaines particules ont une masse et d’autres pas ?

Peter Higgs devant les équations décrivant la brisure de symétrie à l'origine du champ BEH.
© Peter Tuffy-The University of Edinburgh
Tout comme l’électron est associé à un champ électrique, le boson de BEH est associé à un champ éponyme : le champ de BEH. La différence réside dans le fait que, contrairement à l'électron, le boson ne crée pas le champ ; il est la manifestation de son excitation. Par interaction avec ce champ, certains bosons acquièrent une masse non nulle (les bosons de jauge de l’interaction faible). Ainsi ces bosons auraient des propriétés différentes de celles du photon (le boson de l’interaction électromagnétique) qui a une masse nulle. La masse d’un fermion ou d’un boson ne serait donc qu’une manifestation de cette interaction des particules avec le champ de Higgs.

On explique souvent que les bosons de BEH s'agglutinent à certaines particules en quantité variable, leur donnant une masse plus ou moins importante. Mais cette image est fausse et ne fait que déplacer le problème. En effet, dans ce cas, d'où vient la masse des bosons de BEH ? De plus, le boson de BEH est une particule fugace dont les apparitions sont rares (lire plus bas, la partie consacrée à son observation). Sa création correspond à une excitation du champ associé et ce n'est pas sa présence qui crée le champ. Il est préférable d'imaginer les particules usuelles comme des éléments mobiles freinés par une interaction : des bateaux à la surface de l'eau par exemple. Certains sont bien conçus et très rapides parce qu'ils n'interagissent que très peu avec l'eau (ou pas du tout dans le cas des photons), d'autres sont mal dessinés ou trainent des algues et sont freinés par l'eau (les particules massiques).

Le physicien D.J.Miller a utilisé une métaphore connue et largement reprise : le champ de Higgs est comparé au groupe des personnes qui remplissent un salon d'un meeting politique. Lorsqu’une personnalité politique passe dans le salon, elle attire les personnes autour d’elle, ce qui la ralentit et lui donne une masse significative.

Quoiqu'il en soit, il semble que pour le non-spécialiste, il faille malheureusement se contenter d'images, de paraboles et de métaphores pour pouvoir vaguement appréhender certains aspects de la théorie. Si vous êtes néanmoins assez intéressés pour creuser un peu plus, les ressources en ligne ne manquent pas. Suggestion de titre pour le prochain Houellebecq : "Les  interférences populaires".

La chasse au boson : une course à l’énergie.

Comment fait-on pour observer une telle particule ?
Dans un tunnel du LHC
Il faut d'abord la créer et pour cela, on utilise des  tunnels géants en forme d'anneaux à l'intérieur desquels on fait tourner des particules de plus en plus vite, dans des sens opposés, jusqu'à des vitesses très proches de celle de la lumière. Puis on provoque une collision entre ces particules, c'est pourquoi on appelle cette immense machine un collisioneur (collider en anglais). Ceci a pour effet de produire de nouvelles particules particulièrement instables comme le boson de BEH. Son existence est trop brève (de l'ordre de 100 milliardièmes de milliardièmes de milliardièmes de secondes (1)) pour qu’on le détecte directement : on se contente d'observer ses produits de désintégration, voire les produits de désintégration de ces derniers.

Une particule ne peut être observée dans un détecteur qu’à des énergies supérieures ou égales à sa masse équivalente en énergie. Plus une particule est lourde, plus il faut de l’énergie pour espérer la produire.  Les physiciens, grâce à leur modèle théorique, savaient dans quel domaine d'énergie il fallait chercher le Boson BEH. Pour reprendre l'image des Lego-particules, c'est comme s'ils avaient conçu une boite pour les ranger de façon logique et méticuleuse. Or une case demeurait désespérément vide : celle du Lego de BEH. Grâce à la boite, ils avaient une estimation des propriétés de la pièce manquante. De plus, d'autres collisionneurs avaient essayé de débusquer le fameux boson, en repoussant toujours les limites des énergies atteignables : on savait donc à quelle énergie minimale il fallait effectuer les expériences pour espérer le voir.
 
Simulation par ordinateur d’une collision de particules au LHC, menant à la création du Boson de Higgs. CERN
Les phénomènes intervenant dans la production et dans la détection de ces bosons sont si complexes qu'on ne raisonne qu'en termes statistiques, ce qui implique d'avoir un très grand nombre de collisions pour obtenir un résultat significatif. Des réactions mettant en jeu d'autres particules peuvent également se produire et il faut être sûr d'avoir identifié les produits de désintégration de la bonne particule. L'observation elle même est donc en soit une prouesse technique !

Mettre la main sur le boson possiblement lié aux phénomène de l'apparition de la masse est donc une belle découverte. Cependant, même si elle est confirmée, les interrogations restent nombreuses : pourquoi, par exemple, chaque particule acquiert-elle une masse spécifique ?

Et après ?

Et bien, dans un premier temps, les physiciens vont poursuivre leurs observations et affiner leurs résultats. La connaissance des propriétés du boson de BEH leur permettra d'envisager la suite en confortant le modèle standard (le modèle qui sert à décrire l'ensemble des particules et leurs interactions) et en précisant certains points. Ils trouveront d'ailleurs peut être de nouvelles particules ! Beaucoup espèrent utiliser ces résultats pour parvenir  à expliquer l'origine de la matière noire.. peut être un jour réussiront-ils enfin à proposer une théorie de réunification au-delà du modèle standard. Et comme pour l'équipe du film "The artist", il y aura certainement quelques prix à la clé !

Pour conclure en beauté : une vidéo d'un accélérateur de particules... EN LEGOS !!


Pour aller plus loin :

-La communication du CNRS, avec une petite vidéo documentaire.

- cette vidéo géniale, par Phd Comics, avec des explications très claires sous forme de dessins animés, en anglais malheureusement.


- Cet article sur le blog MY SCIENCE WORK qui revient sur le traitement médiatique de l’événement.

- Ce dossier,assez accessible, avec une longue introduction sur la physique des particules.

- Posez vos questions en laissant un commentaire! Cet article gagnerait sûrement à être amélioré! 


(1) A. Quadt (2006). "Top quark physics at hadron colliders". European Physical Journal C

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